Questions de langue<p><strong>Les compléments d’objet indirects : aspects syntaxiques</strong></p><p>Plan de l’article :</p><p><strong><a href="https://questionsdelangue.wordpress.com/2025/01/25/sur-limparfait-de-lindicatif/#i" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">I. Définition générale</a><br><a href="https://questionsdelangue.wordpress.com/2025/01/25/sur-limparfait-de-lindicatif/#ii" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">II. Préposition inaugurale et nature syntaxique</a><br><a href="https://questionsdelangue.wordpress.com/2025/01/25/sur-limparfait-de-lindicatif/#iii" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">III. Règles de transformation</a></strong><br><strong><a href="https://questionsdelangue.wordpress.com/2025/01/25/sur-limparfait-de-lindicatif/#iv" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">IV. Conclusions et bibliographie</a></strong></p><p><strong><strong>I. Définition générale</strong></strong></p><p>Que sont les compléments d’objet indirects (COI) ?</p><p>Les compléments d’objet indirects (COI) sont reconnus par la tradition grammaticale comme des compléments essentiels du verbe, à l’aune des <a href="https://questionsdelangue.wordpress.com/2024/04/14/les-complements-dobjet-direct/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">compléments d’objet directs</a> (COD). Ils se caractérisent, au regard de ces derniers, par leur syntaxe particulièrement et notamment par <a href="https://questionsdelangue.wordpress.com/2021/03/26/la-preposition-aspects-syntaxiques-et-semantiques/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">la préposition inaugurale</a> qui les introduit (1).</p><blockquote></blockquote><blockquote><p>(1) Je parle <em>à Jean</em>.</p></blockquote><p>Leur repérage, cependant, est plus complexe dans la mesure où ils ressemblent, superficiellement, à d’autres types de groupes prépositionnels, notamment la famille des compléments dits « circonstanciels », des compléments à valeur scénique ou de certains compléments de phrase, qui partagent d’ailleurs parfois certaines de leurs propriétés. Ces problèmes ont été, en grammaire scolaire, longtemps indépassables : et il était fréquent que les manuels identifient comme des COI des compléments circonstanciels, et réciproquement.</p><p>Historiquement, il y a effectivement une relation entre ces compléments : un certain nombre de COI ont été, dans <a href="https://questionsdelangue.wordpress.com/2020/10/28/sur-la-linguistique-diachronique-principe-et-methode/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">l’histoire de la langue française</a>, des compléments circonstanciels qui ont été progressivement intégrés dans <a href="https://questionsdelangue.wordpress.com/2021/06/18/la-valence-verbale-une-introduction/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">la valence verbale</a>. En effet, un certain nombre de ces compléments, parce qu’ils accompagnaient très souvent un verbe et étaient cohérents avec son sémantisme, ont fini par développer une relation de solidarité assez forte avec le verbe et devenir un de ses actants.</p><p><strong><em>Le COI se définit donc comme un complément essentiel du verbe, introduit par une préposition et distinct, par ses propriétés, des autres types de groupes prépositionnels.</em></strong></p><p>Le lien, cependant, entre le COI et le verbe est plus lâche qu’avec un COD ou <a href="https://questionsdelangue.wordpress.com/2024/10/19/lattribution/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">un attribut</a>, dans la mesure où l’on a précisément besoin d’une préposition pour assurer la relation avec le verbe. En ce sens, et au-delà des paramètres syntaxiques que l’on énumèrera ci-après, le paramètre sémantique est essentiel pour identifier les COI. C’est en effet le contexte, et la relation de sens entre le verbe et le COI, qui orientera l’analyse. </p><p>Ainsi, un complément locatif du type <em>à l’école</em> sera bien un COI du verbe <em>aller</em>, dans la mesure où le sens du verbe suppose un complément indiquant le point d’arrivée du mouvement ; en revanche, il sera davantage un complément circonstanciel, à valeur scénique, derrière un verbe comme <em>parler</em> puisque son sémantisme, ou son « drame » pour reprendre la formule de Tesnières, n’implique pas une précision locative au regard du schéma actanciel du verbe où l’on attendrait davantage la personne à qui l’on parle, ou le sujet de la discussion.</p><blockquote><p> (2a) Je vais <em>à l’école</em> (COI)<br>(2b) Je parle <em>à l’école</em> (circonstant) de mathématiques (COI)</p></blockquote><p>Dans cet article, nous ne reviendrons pas sur ces aspects sémantiques, qui feront l’objet d’un développement approfondi dans un futur billet sur les circonstants. Il y a, en revanche, des éléments syntaxiques assez stables sur lesquels il est bon de revenir ici pour identifier les COI.</p><p><strong><strong>II. Préposition inaugurale et nature syntaxique</strong></strong></p><p>La préposition introduisant le COI demeure l’un de ses traits fondamentaux : c’est ce qui le distingue notamment des COD et des attributs. En revanche, la nature du COI peut être diverse. On peut trouver là des noyaux nominaux (substantifs ou pronoms), des infinitifs (forme « quasi-nominale » du verbe) ou <a href="https://questionsdelangue.wordpress.com/2021/04/29/sur-la-subordination-typologie-syntaxique/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">des subordonnées</a>, complétives ou intégratives (dites encore « indéfinies »).</p><blockquote><p>(3a) Je parle <em>de Pierre</em> / <em>de moi</em> (noyau nominal)<br>(3b) Je parle <em>de partir</em> (noyau infinitif)<br>(3c) Je parle <em>de ce que je veux</em> (noyau subordonnée complétive)<br>(3d) Je parle <em>de qui je veux</em> (noyau subordonnée indéfinie)</p></blockquote><p>Les prépositions introduisant des COI sont également multiples. Outre la triade <em>à/de/en</em>, composée des prépositions les plus usuelles du français, nous pouvons également trouver, toujours selon le sémantisme du verbe, d’autres prépositions au sens plus transparent comme <em>sur</em> (<em>je m’assois sur une chaise</em>), <em>contre</em> (<em>je m’appuie contre le mur</em>) ou <em>pour</em> (je vote <em>pour mon candidat</em>). On retiendra cependant deux éléments les concernant :</p><p><strong>(i)</strong> D’une part, le choix de la préposition est contraint par le verbe. Si certains d’entre eux autorisent, avec différents effets de sens, une certaine variation, la chose est rare en français.</p><blockquote><p>(4a) Je parle <em>à/de/pour Jean.</em><br>(4b) *Je vais <em>selon</em> <em>l’école</em></p></blockquote><p><strong>(ii)</strong> D’autre part, il faut que le sens de la préposition, dans le cas où celle-ci n’est pas <em>à</em>, <em>de</em> ou <em>en</em>, soit cohérent avec le verbe. Ainsi, on acceptera volontiers une préposition locative avec un verbe de mouvement (5a), mais il sera plus difficile d’employer une préposition liée au but ou à l’intention (5b).</p><blockquote><p>(5a) Il parvient <em>jusqu’au sommet.</em><br>(5b) *Il parvient <em>pour le sommet.</em></p></blockquote><p>C’est précisément parce qu’il y a cohérence entre le sens du verbe et la préposition qu’historiquement, la réanalyse du circonstant en COI a pu se faire progressivement. On notera d’ailleurs que la préposition permet de distinguer divers sens à un verbe, en fonction du mode de construction du complément :</p><blockquote><p>(6a) Je connais Jean.<br>(6b) Le juge connaît <em>de l’affaire</em> (= « être capable de juger l’affaire »)</p></blockquote><p>Parfois encore, le choix de la préposition oriente l’interprétation, avec des nuances plus ou moins fines. On a vu récemment, dans la langue moderne, se stabiliser une opposition entre <em>habiter à Paris</em> et <em>habiter sur Paris</em>, la préposition <em>sur</em> indiquant une localisation plus lointaine ou plus vague (<em>à Paris</em> = <em>intra-muros</em> ; <em>sur Paris</em> = dans le voisinage de Paris, en banlieue proche par exemple). Aussi, l’usage continue de modifier la valence verbale en s’appuyant sur la complexité des prépositions, pour déterminer des effets de sens nouveaux.</p><p><strong><strong>III. Règles de transformation</strong></strong></p><p>Certaines règles de transformation syntaxique permettent également d’orienter l’analyse, et de distinguer les « vrais » COI, c’est-à-dire les actants du verbe, d’autres types de groupes prépositionnels, en jouant sur le lien syntaxique que le COI entretient avec son verbe. Notamment les COI peut être pronominalisés en position préverbale :</p><blockquote><p>(7a) Je parle <em>de Jean</em> <=> J’<em>en</em> parle.<br>(7b) Je parle lentement <≠> *<em>Je le parle</em>.<br>(7c) Je parle à voix basse <≠> *<em>J’y parle</em></p></blockquote><p>Au regard des COD ou des attributs en revanche, les règles de pronominalisation de COI sont un peu plus complexes. On doit notamment distinguer trois régimes de transformation, en fonction et de la nature de la préposition inaugurale, et <a href="https://questionsdelangue.wordpress.com/2024/01/12/la-notion-dacte-de-reference/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">du statut référentiel</a> du COI selon le paramètre +/- humain. On distinguera alors :</p><p><strong>(i)</strong> Un premier régime avec les COI introduits par <em>à</em>. La pronominalisation s’effectue alors soit par <em>y</em> pour les COI -humain (8a), soit par <em>lui</em> pour les COI +humain (8b). Dans ce dernier cas, le pronom <em>lui</em> ne marque pas le genre masculin ou féminin, que ce soit au niveau grammatical ou ontologique.</p><blockquote><p>(8a) Je réponds <em>à son courrier</em> <=> J’<em>y </em>réponds.<br>(8b) Je réponds <em>à Marie</em> <=> Je <em>lui</em> réponds.</p></blockquote><p>Dans certains cas, la transformation peut s’effectuer en conservant un GP introduit par <em>à</em>, suivi de <em>lui/elle(s)/eux</em>/<em>ça</em>, en parallèle de la pronominalisation en <em>y</em>. C’est un choix fait pour lever, occasionnellement, une ambiguïté interprétative. Ainsi, (9a) est tant la transformation de (9b) que de (9c).</p><blockquote><p>(9a) J’<em>y </em>pense.<br>(9b) Je pense <em>à l’avenir</em> (<em>Je pense à ça</em>)<br>(9c) Je pense <em>à mes enfants</em> (<em>Je pense à eux</em>)</p></blockquote><p>On notera également que <em>y</em> tend néanmoins à se spécialiser dans le non-humain : c’est l’interprétation préférentielle, et certaines variétés diatopiques (dans le lyonnais par exemple) étend cette propriété au COD, pour distinguer la référence des compléments au regard du pronom objet <em>le/la</em> (Je le [Jean] vois vs. J’y [la table] vois).</p><p><strong>(ii)</strong> Les COI introduits par <em>de</em> se pronominalisent tous par <em>en</em>. Ce pronom est véritablement lié au mot-forme <em>de</em>, puisqu’on le retrouve également pour la transformation des COD introduits par le partitif ou le déterminant indéfini <em>de</em>. Il faut donc veiller à ne pas confondre les formes entre elles, et de vérifier le statut de <em>de</em>, préposition ou déterminant.</p><blockquote><p>(10a) Je parle <em>de Jean</em> <=> J’<em>en</em> parle (COI)<br>(10b) Je veux <em>de l’eau </em><=> J’<em>en </em>veux (COD)</p></blockquote><p><strong>(iii)</strong> Enfin, les autres types de COI se pronominalisent sous la forme <em>préposition + pronom</em> pour les animés :</p><blockquote><p>(11a) Jean tourne <em>autour de Marie</em> <=> Jean tourne <em>autour d’elle.</em><br>(11b) Je compte <em>sur Jean</em> <=> Je compte <em>sur lui</em>.</p></blockquote><p>Ou, pour les inanimés, par un rappel de la préposition « seule », sans le reste du syntagme.</p><blockquote><p>(12) J’ai voté <em>contre la loi</em> <=> J’ai voté <em>contre</em>.</p></blockquote><p>L’identification de ces derniers compléments comme COI est parfois discutée, mais deux arguments peuvent être avancés pour conduire l’analyse : d’une part, la pronominalisation avec <em>lui</em> est encore autorisée pour les animés (13a), même si certaines grammaires associent la transformation à un niveau de langue populaire ou relâchée. D’autre part, le détachement en tête d’énoncé est senti comme incorrect ou maladroit (13b). Or, le COI étant un complément verbal, on ne peut le déplacer librement comme on peut le faire avec un complément à valeur scénique.</p><blockquote><p>(13a) Jean <em>lui</em> tourne autour.<br>(13b) ?<em>Autour de Marie</em>, Jean tourne.</p></blockquote><p>Ce test de déplacement en tête d’énoncé est d’ailleurs crucial. Si on peut toujours le faire pour les COI, on notera qu’il demande un rappel par cataphore d’un pronom en position préverbale pour assurer la grammaticalité de l’énoncé, ce qui n’y pas le cas des compléments à valeur scénique (14).</p><blockquote><p>(14a) (<em>À</em>) <em>Jean</em>, je <em>lui</em> parle / ?(<em>À Jean</em>), je parle<br>(14b) <em>Sur le quai</em>, j’ (*<em>y</em>) attends.</p></blockquote><p>La complexité de ces analyses, et le fait qu’elles fassent appel à notre sentiment de langue, empêche cependant d’avoir des certitudes absolues pour certains compléments. En diachronie de même, il est pour ainsi dire impossible de mener la discussion, comme nous ne pouvons pas faire appel à ce sentiment linguistique.</p><p><strong><strong>IV. Conclusions et bibliographie </strong></strong></p><p>Les COI nous rappellent, si besoin était, que rien dans l’analyse de langue n’est absolument indiscutable : les phénomènes grammaticaux ne sont pas des équations mathématiques à résoudre, et une part d’interprétation sera toujours nécessaire dans l’analyse même si des tests et des outils nous permettent d’orienter les discussions. Les COI sont des témoins privilégiés de cette observation, comme ils se situent à la frontière entre les actants du verbe et les circonstants, sans même rentrer dans le terrain, difficile, de l’évolution historique ou de la variation géographique.</p><p>Parmi les références que nous pouvons donner :</p><ul><li>Jacqueline Pinchon a écrit, en 1972, une étude sur <em>Les pronoms adverbiaux </em>en <em>et </em>y, hélas non réédité. Sa consultation permettra cependant d’y voir plus clair sur cette question épineuse.</li></ul><ul><li>Outre les références données dans l’article sur les prépositions, qui serviront également pour la discussion, on lira avec attention l<a href="https://www.persee.fr/doc/igram_0222-9838_1999_num_81_1_2822" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">‘article de Le Querier</a> (1999), sur <em>Fin de partie</em> de Beckett, pour un point de vue stylistique/sémantique sur la question.</li></ul><p><em>Site sous licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 4.0) : partage autorisé, sous couvert de citation et d’attribution de la source originale. Modification et utilisation commerciale formellement interdites (<a href="https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/deed.fr" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">lien</a>)</em></p><p><span></span></p><p><a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://questionsdelangue.wordpress.com/tag/complement/" target="_blank">#complément</a> <a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://questionsdelangue.wordpress.com/tag/complement-circonstanciel/" target="_blank">#complémentCirconstanciel</a> <a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://questionsdelangue.wordpress.com/tag/complement-dobjet-direct/" target="_blank">#complémentDObjetDirect</a> <a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://questionsdelangue.wordpress.com/tag/complement-dobjet-indirect/" target="_blank">#complémentDObjetIndirect</a> <a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://questionsdelangue.wordpress.com/tag/grammaire/" target="_blank">#grammaire</a> <a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://questionsdelangue.wordpress.com/tag/mathieu-goux/" target="_blank">#MathieuGoux</a> <a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://questionsdelangue.wordpress.com/tag/pronom/" target="_blank">#pronom</a> <a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://questionsdelangue.wordpress.com/tag/syntaxe/" target="_blank">#Syntaxe</a> <a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://questionsdelangue.wordpress.com/tag/valence-verbale/" target="_blank">#valenceVerbale</a> <a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://questionsdelangue.wordpress.com/tag/verbe/" target="_blank">#verbe</a></p>